Un havre de paix : avec ses canaux bordés de grandes demeures XIXe, à découvrir au fil de l’eau, voilà Little Venice, l’un des quartiers les plus confidentiels de Londres. Les notables d’antan, qui abritaient ici leurs amours clandestines, ont laissé la place aux rock stars et aux icônes de mode, comme Kate Moss, Liam Gallagher du groupe Oasis ou Amy Winehouse de son vivant. Dominant les péniches colorées, marronniers centenaires, saules et platanes projettent leurs ombres flegmatiques sur des façades aussi majestueuses que mystérieuses.
Un intérieur dopé par une énergie féminine
Un esprit mi-victorien et très féminin, mi-rock qui va comme un gant (de dentelle noire) à la décoratrice Sera Hersham-Loftus, ex-fan du mouvement punk anglais. Aux “no futur” rageurs, l’excentrique Sera qui nous reçoit perchée sur des chaussures à plateforme – et à paillettes ! – préfère désormais l’esprit New Age des “bénédictions celtiques” et le parfum suave de rose, de géranium et d’encens, une des compositions créées spécialement par sa fille, Anoushka Loftus. “Cette maison est remplie d’énergie féminine, elle reflète avant tout ma spiritualité, ici il n’y a que paix et amour”, explique Sera avec un naturel de conteuse née. “Anoushka, dont la communauté s’appelle The Goddess Space, vient régulièrement dans mon appartement pour purifier les lieux avec des plantes, notamment la sauge. Elle crée des espaces sacrés et insuffle de bonnes vibrations.” On dirait une évocation de la fée Morgane mais, plus que le cycle arthurien, c’est à Shakespeare et son fameux “Le temps est hors de ses gonds”, qu’il faut se référer…
Un boudoir dans la jungle
“Sera of London” – c’est ainsi qu’elle se présente – ne se définit d’ailleurs pas comme décoratrice mais comme “make-up artist for interiors”, maquilleuse pour maison. Dont acte. Murs blanchis, plafonds teintés de noir, parquets vieillis… La remise en beauté de l’appartement, acheté il y a une dizaine d’années, va de pair avec un esprit récup’ dans le choix des meubles patinés et des nombreux objets et ustensiles chinés. “C’est bon pour l’environnement et ils donnent une âme aux lieux” confie Sera, qui a conçu coussins et rideaux avec son associée Antonia. D’autres ouvrages sommeillent encore dans les hautes armoires de sa pièce de travail, encombrée d’étoffe et rubans… “L’esprit ‘shabby chic’ est formidable, on peut tout accumuler, déplacer, associer, ça marche toujours !” relève Sera. Et comme dans une jungle apaisante, des dizaines de plantes baignent cet univers bienveillant de leur énergie revitalisante, si chère à ce gynécée excentrique.
Envahie de plantes vertes, la salle à manger ressemble à une serre. Il n’y manque que les oiseaux ! Toujours dans une atmosphère bohème chic, Sera a fait intégrer dans un mur en brique d’origine, une cheminée trouvée en France. Bureau ancien trouvé en Italie, tabourets en rotin années 70, lampadaire palmier doré 1960 de Curtis Jere Studio. Tous les pots ont été chinés entre la France et l’Italie.
Mix city. Dans le salon, Sera mêle ses trouvailles aux Puces de Londres, les oeuvres d’art héritées de son père, un pot en terre cuite ancien déniché dans une maison provençale du côté d’Avignon… et une boule à facettes, vestige du célèbre Club 54 de New York. Avec son associée Antonia et leur marque Sera & Sestra, elle a conçu de longs rideaux “House Gowns” en mousseline de coton rebrodée à la main de dentelle ancienne.
La cuisine associe un mobilier rustique de ferme et des éléments sophistiqués en laque noire, rehaussés de touches d’or. Le parquet brut a été chiné. Amsterdam. Autour d’une table de réfectoire du XVIIIe, chaises en bois rapport.es des Pays-Bas. Les suspensions ann.es 50 ont également été chinées. En guise de rideaux, Sera a assemblé des pièces d’étoffes en raphia brodé rapportées d’Afrique. Les volets ont été confectionnés sur mesure, puis patinés.
Sera a fait habiller tout le plan de travail d’une plaque de laiton taillée sur mesure et dessiné les portes de placard en laque noire avec poignées dorées d’après une console des années 30. Piano de cuisson, La Cornue. Le mur est habillé de carreaux en terre vernissée trouvés chez un récupérateur de matériaux londonien. Vases multicolores chinés et rapportés de voyages. Un ancien incinérateur de rue sert de poubelle.